Durant les cinq dernières années, j'ai observé, en tant qu'anthropologue des sciences et de la santé, le développement de la phagothérapie en France après pourtant plus de cent années d'existence. Des pratiques de laboratoire aux récits des personnes malades, en passant par les dédales de la réglementation sur les médicaments et les produits de santé, les essais cliniques et la place des virus bactériophages dans les différents écosystèmes, j'ai essayé de comprendre, avec les biologistes, les médecins, les associations de malades et les agences de réglementation, comment et sous quelles conditions les phages pouvaient devenir des alliés dans la lutte contre la résistance bactérienne aux antibiotiques en santé humaine. Le résultat de ce travail est un ouvrage dans lequel j'esquisse les contours d'une médecine qui existe déjà discrètement, attentive à la dimension écologique des infections, dans laquelle les phages auraient toute leur place, ainsi que les conditions de possibilité d'une telle pratique de l'infectiologie. Je montre notamment comment il est impossible de penser le développement des phages en santé humaine sans prendre en considération la façon dont les antibiotiques ont profondément transformé non seulement la médecine et la pharmacie dans la seconde moitié du 20ème siècle, mais plus globalement l'ensemble des modes de vie et des sociétés sur Terre, de façon directe ou indirecte. Les antibiotiques, molécules chimiques présentées comme miraculeuses, ont été et sont toujours produits puis consommés en masse, en santé humaine mais bien plus encore dans l'agro-industrie. Ils sont devenus, par leurs multiples et souvent malheureux usages, un véritable pharmakon : tout autant un remède qu'un poison. Il s'agirait de ne pas reproduire les mêmes erreurs avec les phages. La phagothérapie, dès lors, ne peut constituer une réponse pérenne, bien que partielle, aux problèmes posés par la résistance aux antibiotiques, que si elle s'invente sur des fondements radicalement différents de ceux de l'antibiothérapie. Elle pourrait alors permettre de soigner des infections causées par des bactéries résistantes tout en préservant l'efficacité des antibiotiques disponibles et à venir ainsi que les bactéries non pathogènes dont les études sur le microbiote ne cessent de nous démontrer l'importance pour la santé humaine. Des initiatives sont déjà à l'œuvre, que ce réseau m'a permis d'explorer.